La mort est, comme la naissance, un mystère de la nature : combinaison dans l’une des mêmes éléments qui se séparent dans l’autre. En somme, rien dont on puisse être déshonoré, car mourir n’est pas contraire à la disposition d’un animal raisonnable, ni à la logique de sa constitution.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 5.
dimanche 31 mai 2009
samedi 30 mai 2009
Si l’intelligence nous est commune...
Si l’intelligence nous est commune, la raison qui fait de nous des êtres qui raisonnent, nous est commune aussi. Si cela est, la raison, qui commande ce qu’il faut faire ou non, doit être commune. Si cela est, la loi aussi nous est également commune. Si cela est, nous sommes concitoyens. Si cela est, nous participons à une certaine administration commune. Si cela est, le monde entier est comme une cité. Et de quelle autre administration commune pourrait-on dire, en effet, que le genre humain tout entier participe ? C’est de là-haut, de cette cité commune, que nous viennent l’intelligence elle-même, la raison et la loi ; sinon, d’où viendraient-elles ? De même, en effet, que la partie terrestre de mon être a été prélevée sur une certaine terre, la partie humide sur un autre élément, la partie prise à l’air sur une autre source, et la partie constituée par la chaleur et le feu sur une certaine autre source particulière - car rien ne vient de rien, comme rien ne retourne à rien - de même aussi, l’intelligence vient de quelque part.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 4.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 4.
vendredi 29 mai 2009
On se cherche des retraites à la campagne...
On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s’il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n’entends rien autre qu’un ordre parfait. Accorde-toi donc sans cesse cette retraite, et renouvelle-toi. Mais qu’il s’y trouve aussi de ces maximes concises et fondamentales qui, dès que tu les auras rencontrées, suffiront à te renfermer en toute son âme et à te renvoyer, exempt d’amertume, aux occupations vers lesquelles tu retournes. Contre quoi, en effet, as-tu de l’amertume ? Contre la méchanceté des hommes ? Reporte-toi à ce jugement, que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres, que se supporter est une partie de la justice, que les hommes pèchent involontairement, que tous ceux qui jusqu’ici se sont brouillés, soupçonnés, haïs, percés de coups de lances, sont allongés, réduits en cendres ! Calme-toi donc enfin. Mais peut-être as-tu de l’amertume contre le lot que l’ensemble t’assigne ? Rappelle-toi le dilemme : Ou une Providence ou des atomes, et par quels arguments il a été prouvé que l’univers est comme une cité. Les choses du corps ont-elles alors fait main mise sur toi ? Considère que la pensée ne se mêle point aux agitations douces ou violentes du souffle vital, une fois qu’elle s’est recouvrée elle-même et qu’elle a reconnu sa propre force ; et enfin rappelle-toi ce que tu as entendu et admis sur la douleur et sur le plaisir. Mais peut être sera-ce la gloriole qui te sollicitera ? Jette les yeux sur le très prompt oubli dans lequel tombent toutes choses, sur le gouffre du temps qui, des deux côtés, s’ouvre à l’infini, sur la vanité du retentissement, la versatilité et l’irréflexion de ceux qui paraissent te bénir, l’exiguïté du lieu où la renommée est circonscrite. La terre entière, en effet, n’est qu’un point, et quelle infime parcelle en est habitée ! Et là, combien d’hommes, et quels hommes, auront à te louer ! Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans ce petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas ; mais sois libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, compte ces deux : l’une que les choses n’atteignent point l’âme, mais qu’elles restent confinées au dehors, et que. les troubles ne naissent que de la seule opinion qu’elle s’en fait. L’autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t’ont déjà eu pour témoin ! Songes-y constamment. « Le monde est changement ; la vie, remplacement. »
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 3.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 3.
jeudi 28 mai 2009
N’accomplis aucun acte au hasard...
N’accomplis aucun acte au hasard, ni autrement que ne le requiert la règle qui assure la perfection de l’art.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 2.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 2.
mercredi 27 mai 2009
Le maître intérieur...
Le maître intérieur, quand il se conforme à la nature, envisage les événements de telle sorte, qu’il puisse toujours, selon la possibilité qu’il en a, modifier sans peine son attitude envers eux. Il n’a de préférence pour aucune matière déterminée, mais il se porte, après choix, vers ce qu’il croit le meilleur ; et, s’il rencontre un obstacle, il s’en fait une matière, comme le feu lorsqu’il se rend maître des choses qu’on y jette, alors qu’une petite lampe en serait étouffée. Mais un feu ardent a vite fait de s’approprier ce qu’on y ajoute ; il le consume et, de par ce qu’on y jette, il s’élève plus haut.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 1.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre IV - 1.
dimanche 24 mai 2009
Corps, âme, intelligence...
Corps, âme, intelligence. Au corps, les sensations ; à l’âme, les impulsions ; à l’intelligence, les principes. Être impressionné par une représentation appartient même aux brutes ; être mu comme par des fils par les impulsions appartient aux fauves, aux efféminés, à Phalaris et à Néron. Mais avoir l’intelligence pour se guider vers ce qui paraît être de notre devoir, appartient même à ceux qui nient les Dieux, délaissent leur patrie et agissent lorsqu’ils ont clos les portes. Si donc tout le reste est commun aux êtres que j’ai dits, ce qui reste en propre à l’homme de bien est d’aimer et d’accueillir avec satisfaction les accidents fortuits et les événements filés en même temps que son destin, de ne jamais embrouiller ni abasourdir par une foule d’images le Génie intérieur qui réside au fond de sa poitrine, mais de le conserver dans la sérénité, régulièrement soumis à Dieu, sans proférer une parole contraire à la vérité, sans jamais ne rien faire à l’encontre de la justice. Et, même si tous les hommes se refusent à croire qu’il vit avec simplicité, réserve et débonnaireté, il ne s’irrite contre personne, et il ne dévie pas de la route qui mène au terme de la vie, terme qu’il faut atteindre en étant pur, calme, dégagé, et en s’accommodant sans violence à sa destinée.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 16.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 16.
samedi 23 mai 2009
On ne sait pas combien...
On ne sait pas combien d’acceptions ont ces mots : voler, semer, acheter, rester en repos, voir ce qu’il faut faire ; cela ne s’acquiert point avec les yeux, mais par le moyen d’une certaine autre vue.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 15.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 15.
vendredi 22 mai 2009
Ne t’écarte plus...
Ne t’écarte plus. Tu n’es pas en situation de relire tes Mémoires, ni les gestes antiques des Romains et des Grecs, ni les extraits d’ouvrages que tu réservais pour ta vieillesse. Hâte-toi donc au but ; renonce aux vains espoirs et porte-toi secours, si tu as, tant que c’est possible encore, quelque souci de toi-même.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 14.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 14.
jeudi 21 mai 2009
Comme les médecins ont toujours...
Comme les médecins ont toujours sous la main les instruments et les fers nécessaires à donner des soins dans les cas urgents : de même, aie toujours prêts les principes requis pour la connaissance des choses divines et humaines et pour tout accomplir, même l’action la plus insignifiante, en homme qui se souvient de l’enchaînement réciproque de ces deux sortes de choses. Car tu ne saurais bien faire aucune chose humaine, sans la rapporter en même temps aux choses divines, et inversement.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 13.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 13.
mercredi 20 mai 2009
Si tu remplis la tâche présente...
Si tu remplis la tâche présente en obéissant à la droite raison, avec empressement, énergie, bienveillance et sans y mêler aucune affaire accessoire ; si tu veilles à ce que soit toujours conservé pur ton Génie intérieur, comme s’il te fallait le restituer à l’instant ; si tu rattaches cette obligation au précepte de ne rien attendre et de ne rien éluder ; si tu te contentes, en ta tâche présente, d’agir conformément à la nature, et, en ce que tu dis et ce que tu fais entendre, de parler selon l’héroïque vérité, tu vivras heureux. Et il n’y a personne qui puisse t’en empêcher.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 12.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 12.
mardi 19 mai 2009
Aux préceptes dont j’ai déjà parlé...
Aux préceptes dont j’ai déjà parlé, qu’un, autre encore soit ajouté : se faire toujours une définition et une description de l’objet dont l’image se présente à l’esprit, afin de le voir distinctement, tel qu’il est en sa propre essence, à nu, tout entier à travers tous ses aspects, et de se dire en soi-même le nom particulier qu’il a, et les noms des éléments dont il est composé et dans lesquels il se résoudra. Rien, en effet, n’est à ce point capable d’élever l’âme, comme de pouvoir discerner, avec méthode et vérité, chacun des objets rencontrés dans la vie, de toujours les considérer de telle façon qu’on puisse examiner en même temps quelle utilité tel objet fournit et à quel univers, quelle valeur il a par rapport à l’ensemble, et quelle valeur aussi par rapport à l’homme, ce citoyen de la plus éminente cité, dont les autres cités sont comme les maisons. Il faut aussi se demander quel est cet objet, de quels éléments il est composé, combien de temps doit naturellement durer cet objet qui occasionne présentement en moi cette représentation, de quelle vertu ai-je besoin par rapport à lui, de douceur, par exemple, de courage, de bonne foi, de simplicité, de maîtrise de soi, etc. Voilà pourquoi il faut pouvoir se dire en toute occurrence : « Ceci vient de Dieu. - Cela tient au groupement et au fil enroulé des événements, à la rencontre
occasionnée par leur suite, et au hasard aussi. – Ceci vient d’un concitoyen, d’un parent, d’un compagnon qui toutefois ignore ce qui est pour lui conforme à la nature. » Mais moi, je ne l’ignore point, et c’est pour cela que je le traite, selon la loi naturelle de la société, avec bienveillance et justice. Néanmoins, je vise en même temps, dans les choses indifférentes, à leur attribuer leur valeur relative.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 11.
occasionnée par leur suite, et au hasard aussi. – Ceci vient d’un concitoyen, d’un parent, d’un compagnon qui toutefois ignore ce qui est pour lui conforme à la nature. » Mais moi, je ne l’ignore point, et c’est pour cela que je le traite, selon la loi naturelle de la société, avec bienveillance et justice. Néanmoins, je vise en même temps, dans les choses indifférentes, à leur attribuer leur valeur relative.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 11.
lundi 18 mai 2009
Rejette donc tout le reste...
Rejette donc tout le reste et ne t’attache qu’à ces quelques préceptes. Mais souviens-toi aussi que chacun ne vit que le moment présent, et que ce moment ne dure qu’un instant ; le reste, il a été vécu ou est dans l’incertain. Petit est donc le temps que chacun vit ; petit est le coin de terre où il le vit, et petite aussi, même la plus durable, est la gloire posthume ; elle ne tient qu’à la succession de ces petits hommes qui mourront très vite, sans se connaître eux-mêmes, bien loin de connaître celui qui mourut longtemps avant eux.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 10.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 10.
dimanche 17 mai 2009
Vénère la faculté de te faire une opinion...
Vénère la faculté de te faire une opinion. Tout dépend d’elle, pour qu’il n’existe jamais, en ton principe directeur, une opinion qui ne soit pas conforme à la nature et à la constitution d’un être raisonnable. Par elle nous sont promis l’art de ne point se décider promptement, les bons rapports avec les hommes et l’obéissance aux ordres des Dieux.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 9.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 9.
samedi 16 mai 2009
Dans la pensée de l’homme...
Dans la pensée de l’homme qui s’est réprimé, qui s’est purifié, tu ne saurais trouver rien de purulent, rien de souillé, rien de suppurant sous la croûte. Le destin ne surprend pas sa vie inachevée, comme on le dirait d’un tragédien qui s’en irait avant d’avoir achevé son rôle et terminé la pièce. Tu n’y verrais non plus rien de servile, rien d’affecté, rien de trop attaché ou de trop détaché, rien de justiciable, ni de dissimulé.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 8.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 8.
vendredi 15 mai 2009
N’estime jamais comme utile...
N’estime jamais comme utile à toi-même ce qui t’obligera un jour à transgresser ta foi, à quitter la pudeur, à concevoir de la haine pour quelqu’un, à suspecter, à maudire, à dissimuler, à désirer ce qui a besoin de murs et de tentures. L’homme qui, avant tout, a opté pour sa raison, son Génie et le culte dû à la dignité de ce Génie, ne joue pas la tragédie, ne gémit pas et n’a besoin ni d’isolement ni d’affluence. Suprême liberté : il vivra sans rechercher ni fuir quoi que ce soit. Que son âme reste durant un plus ou moins long intervalle de temps enveloppée dans son corps, il ne s’en fait, de quelque façon que ce soit, aucun souci. S’il fallait, en effet, dès maintenant qu’il s’en aille, il partirait aussi dégagé que pour tout autre de ces besognes susceptibles d’être remplies avec décence et mesure. Le seul souci qu’il a durant sa vie entière, est de garder sa pensée de toute façon d’être qui serait impropre à un être raisonnable et sociable.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 7.
Marc Aurèle, « Pensées pour moi-même » - Livre III - 7.
Inscription à :
Articles (Atom)